PAOLO ZEDDA
Doctorat d’Université, Paris III (Sorbonne Nouvelle), 1993
En quelques mots :
Dans cette thèse nous avons traité la langue chantée exprimée par le chant dit « classique et/ou d’opéra » comme une variante linguistique. L’appellation « Belcanto » a été utilisée dans un sens méta-historique de ce terme. La méthodologie adoptée pour sa description a fait appel presque exclusivement à des critères d’analyse qui relèvent de la phonétique articulatoire. Nous avons ainsi constitué quatre parties qui résument par leurs titres (et dans l’ordre) la direction que nous avons donnée à ces recherches:
- La place de la voix qui dépend en partie de la qualité articulatoire des nasalisations.
- La rythmique de l’Italien qui est déterminée par l’interaction entre les voyelles, l’accent, et l’intensité articulatoire des consonnes.
- Les nouvelles conventions: l’alphabet phonétique et les 27 règles de bonne diction.
- Langue et Musique. Les principes de la diction lyrique et le solfège linguistique, fait à partir d’un bon nombre d’exercices pratiques de diction, concluent cette thèse.
Dans cette thèse nous avons traité la langue chantée exprimée par le chant dit « classique et/ou d’opéra » comme une variante linguistique. La méthodologie utilisée pour sa description a fait appel presque exclusivement à des critères d’analyse qui relèvent de la phonétique articulatoire. Nous avons ainsi constitué quatres parties qui résument par leurs titres (et dans l’ordre) la direction que nous avons donnée à ces recherches:
1) La place de la voix: les nasalisations.
2) La rythmique de l’Italien: voyelles , accent et consonnes …
3) Les nouvelles conventions: l’alphabet phonétique et les 27 règles de bonne diction.
4) Langue et Musique. Les principes de la diction lyrique et le solfège linguistique.
La première d’entre elles porte sur une analyse de la richesse des articulations nasales italiennes (contrairement à l’opinion courante). Elle vise d’un côté à remettre en question l’opposition classique: oral~nasal, et de l’autre côté à expliquer pourquoi les nasalisations jouent le « rôle articulatoire principal » à travers les influences qu’elles exercent sur chaque système phonétique particulier. Leur place, différente selon les variantes individuelles (phonolectes) ou régionales des parlants, décide des particularités des trapèzes vocaliques et modifie par exemple le lieu et le mode d’articulation des consonnes.
La deuxième partie vise en revanche à déterminer les particularités rythmiques de la langue italienne qui s’expriment principalement dans les rapports de durée vocalique. Ceux-ci sont conditionnés à la fois par la place de l’accent dans la chaîne parlée, et par l’intensité articulatoire de la consonne; nous parlons bien entendu de la syllabe articulatoire.
La troisième partie présente un « autre » alphabet phonétique italien qui, avec le rajout de quelques allophones de « r », « l », « n », « g », « d », permet surtout aux chanteurs francophones de mieux cerner les difficultés articulatoires de la langue italienne. Les 27 règles qui en découlent énoncent quels sont les principes qui permettent une bonne diction de cette langue. Nous appelons bonne diction, celle qui permet d’obtenir les articulations voulues avec une grande efficacité et un moindre effort, dans le respect surtout du bon fonctionnement de l’appareil phonatoire. Voici un extrait de Bertil Malmberg qui précise dans quel esprit nous avons abordé cet aspect « orthoépique » de la thèse:
« L’orthoépie présuppose l’existence d’une Norme de Prononciation valable à l’intérieur d’une Société Linguistique (état, province, milieu culturel, groupe social). Dans certaines sociétés cette Norme est très astreignante, dans d’autres elle est plus faible et elle admet des variations individuelles ou dialectales considérables même en ce qui concerne la prononciation des gens les plus cultivés. L’orthoépie a plutôt un caractère pratique et pédagogique que scientifique. Mais (…) on peut lui appliquer les théories et les résultats de la phonétique scientifique »
C’est ce que nous avons tenté de faire.
Le milieu culturel à qui nous adressons nos investigations est tout d’abord celui qui est concerné par le Belcanto, mais les Normes que cette variante nous a inspirées peuvent s’adresser à tous ceux qui sont soucieux d’une bonne diction dans l’articulation de l’Italien. Cette « variante » linguistique du Belcanto pourrait être alors l’Ambassadeur idéal de l’italien oral de la variante « standard ». Il semble utile de rappeler que si la langue italienne a la chance d’être renommée dans le monde entier, elle le doit surtout aux chanteurs dont on peut facilement fredonner quelques chansons … plus ou moins lyriques …
Avec la quatrième partie, on entre de façon plus générale dans les particularités de la langue chantée qui modifie surtout les données temporelles de la parole, et qui permet, telle une loupe, de mieux calculer les données rythmiques de la langue et de mieux entendre ses particularités articulatoires. Les réflexions sur les relations strictes entre le solfège musical et la diction de la langue nous ont permis enfin d’ouvrir le dernier volet de ces recherches: les nombreux tableaux et exercices conçus pour une approche plus logique des arguments étudiés, « illustrent » comment obtenir une bonne diction de la langue en question. Cette thèse vise en outre à redonner à la langue orale une place qui est souvent amoindrie par la langue écrite.
Avant de commencer une brève présentation des résultats auxquels nous sommes parvenus, il ne sera pas vain de lire ces quelques phrases de Richard Miller qui confirment en partie les raisons qui font de cette variante du Belcanto une langue idéale pour l’épanouissement de la voix:
« Du point de vue « profitable » de l’efficacité fonctionnelle immédiate (the vantage point of functional directness!), l’Italien dépasse l’Anglais, le Français et l’Allemand.(…) Il serait mieux d’affirmer que l’Italien est une langue plus facile à chanter que tout autre, parce qu’elle contient le plus petit nombre de voyelles* que l’on puisse former, et parce qu’elle présente les conditions les plus favorables par rapport à l’articulation des consonnes; puisqu’elle demande moins d’ajustements acoustiques « radicaux » du « tractus vocal » que l’acte de parler ou de chanter dans la plupart des autres langues européennes. Naturellement, la fréquence de ces ajustements est relativement peu importante dans la langue parlée, mais « significative » dans le chant. »
Nous pensons que les critères acoustiques décrits plus haut, ne concernent pas l’Italien comme entité linguistique globale, mais plutôt la variante dont nous parlons. Les affirmations de Miller renferment des concepts qu’il vaudrait mieux préciser ainsi:
1) Il est vrai que la variante Belcanto de la langue italienne, grâce à sa gymnastique articulatoire particulière, qui est relativement généralisable aux différents « italiens régionaux », entraîne l’appareil phonatoire dans un sens qui est plutôt celui de la détente, de la souplesse et de la facilité dans la diction. Tout cela contribue à la rendre plus efficace, « fonctionnellement » parlant, grâce aux « moindres ajustements acoustiques » dont parle Miller ; mais :
2) dans toute langue il y a des variantes ayant les caractéristiques exprimées au point n°1; malheureusement elles sont souvent minoritaires et correspondent rarement aux « accents » dits « officiels » ou « standards ».
3) Il est évident que les caractéristiques articulatoires des variantes des points 1 et 2 peuvent se rencontrer chez plusieurs individus (phonolectes) appartenant à différentes communautés linguistiques, … par le fruit du « hasard » et, peut-être, d’une sorte de « paresse » articulatoire intelligente!
Les résultats.
En ce qui concerne l’articulation nasale, nous avons pu démontrer que, dans cette variante, il est indispensable de distinguer les vraies consonnes nasales (nave, seno, mamma, sogno, etc…) des nasalisations (sento, manca, invano, non posso, etc…). Ces dernières, qui dans notre classification se situent à mi-chemin entre les voyelles et les consonnes (d’où le terme de oro-nasalisation), jouent le rôle articulatoire principal pour soutenir l’épanouissement vocal extraordinaire que demande le chant d’Opéra.
Nous avons ensuite souligné la grande tolérance d’écoute que nécessitent les voyelles du Belcanto, qui doivent s’adapter aux différents appareils phonatoires, aux différentes tessitures, mais aussi aux différents styles… La grande souplesse que demande leur bonne diction, nous a permis de déterminer:
– les six éléments constitutifs de ces voyelles (voir p. 148),
– et leur lieu articulatoire particulier (« vocali profonde ») qui pourrait être représenté par un petit trapèze (ou mieux: polyèdre) situé dans une zone vélaire de la bouche. Par ailleurs nous avons pu évoquer la nécessité d’utiliser le terme de série vocalique pour telle ou telle autre voyelle (par exemple le série vocalique « e » fermé en français…), car il donne une meilleure image de la réalité phonétique de nos langues; mais aussi la prise en compte du seuil de changement vocalique qui fait que certaines voyelles dans certaines cultures linguistiques ne sont pas perçues comme appartenant à la couleur vocalique voulue (par exemple: beaucoup de français ressentent le « u » de la variante du Belcanto comme un « o » fermé ). Les propositions pour une norme (facile à mémoriser!) des voyelles « e/o » fermées et ouvertes terminent cet important chapitre.
L’accent italien, surtout dans cette variante, est essentiellement sur la voyelle, et se distingue radicalement de l’intensité articulatoire de la consonne. En revanche les francophones ont tendance à mélanger au niveau de la langue orale accent et consonne (par exemple: le mot « voilà » perçu comme ayant un accent sur le « v »). Les considérations faites à partir d’une analyse comparative italien/français, nous ont amené à constater que les accents de la variante « standard » de la langue française possèdent les caractéristiques suivantes:
A I) absence « d’accent mobile » à fonction distinctive;
A II) possibilité de « confusion » entre « intensité articulatoire de la consonne » et « accent ».
A III) présence d’un « accent tonique sur la dernière syllabe accentuable » du mot.
A IV) Le français est dite langue à accent « fixe », uniquement parce que l’on peut très bien lire ou parler en mettant toujours l’accent sur la dernière syllabe accentuable du mot sans gêner la compréhension.
A V) A ce stade d’évolution linguistique, cette « variante » montre une grande propension à la désaccentuation , grâce aussi bien aux contre-accents, qu’aux accents d’intention : le mot « éternel », par exemple, a l’accent tonique sur « nel », mais aussi un contre accent sur la première syllabe « éternel » et éventuellement un accent d’intention sur la deuxième syllabe « éternel ».
En revanche, dans la variante Belcanto de l’italien:
B I) il y a un accent tonique « mobile » (du « strict » point vue de la lecture!) qui peut avoir une fonction distinctive (accent principal); B II) l’accent est essentiellement vocalique;
B III) outre l’accent tonique, dont la place n’est pas fixe du point de vue de la lecture, il peut y avoir un, ou plusieurs accents secondaires dans un mot;
B IV) La langue italienne est une langue dite à accent « libre »; parce que, en lisant par exemple, on ne peut pas deviner la place de l’accent du mot.
B V) En italien aussi, on trouve des phénomènes de désaccentuation aussi bien au niveau du mot qu’à celui de la phrase. La désaccentuation est un phénomène typique de la langue Orale.
Nous avons aussi tenté une interprétation rythmique des accents italiens à l’aide du code musical, et cela en tenant compte de l’importance du « générateur rythmique » (concept phonétique correspondant à la pulsation musicale), qui modifie les possibilités accentuelles d’un mot ou d’une phrase selon que l’élocution s’exprime « en levée » ou « sur le temps » linguistico/musical:
S S S « utilità »: 1/4 D ddd l c C 3/8 ccc l c C (…) _ S S S « inabitabile » 3/8 CCddd l c; d c 3/8 ccclc; dc etc…
La réalité rythmique de la langue italienne est étudiée à partir de la syllabe tonique du mot ou de la phrase. Cette dernière permet en outre d’établir une hiérarchie de l’intensité articulatoire de la consonne italienne. Pour ce dernier concept, nous nous sommes inspirés du travail fait par C. Tagliavini sur la diction italienne. Nous avons pu ainsi distinguer les vraies doubles consonnes des fausses doubles consonnes: par exemple le « bb » de Babbo, par rapport au « bb » dans le mot abbandonata. Cela nous rappelle que plus on s’éloigne de la syllabe tonique plus les phénomènes articulatoires s’affaiblissent. La variabilité de l’intensité articulatoire des consonnes fait de l’italien une langue particulièrement sensible au rythme. Pour essayer de respecter cette autre particularité de la variante Belcanto, nous avons alors énoncé des règles d’intensité articulatoire: les R.IA.(p. 284 à 290).
Dans les Nouvelles Conventions (troisième partie de la thèse) nous avons fait une classification des 35 articulations essentielles de cette variante, en signalant la nécessité de différencier certaines articulations. Cela nous a amené à rajouter les 5 allophones que nous avons déja mentionnés, et surtout à redéfinir certains modes articulatoires en vue de la langue chantée:
« Constriction signifie surtout rapprochement « doux » de deux éléments de l’appareil phonatoire (par exemple une zone pré-dorsale de la langue avec les alvéoles ou une « zone pré-palatale » pour « s » dans le mot « rosa »!) et non pas une mâchoire crispée pour rapprocher ces mêmes lieux articulatoires. Cela concerne les articulations suivantes:
(j), (w), (v), (f), (z), (s),(S); » (p. 424)
Nous avons pu aussi énoncer 27 règles pour une bonne diction de la variante Belcanto. Ces règles ont été partagées ainsi:
– 13 règles orthographiques, qui concernent directement l’orthographe et l’utilisent pour la mémorisation;
– 11 règles articulatoires, qui montrent les principales particularités articulatoires de la variante en question;
– 3 règles prosodiques, qui mettent en évidence les 3 principaux phénomènes liés à l’accentuation et à l’intonation!
Voici par exemple la règle orthographique n° 2:
» Règle o 2) parmi les nasalisations il faut savoir repérer les « n » de l’écriture qui sonnent « m »à l’oral…
a) n + b, p, m = m bilabial (m) un bacio non posso in mano b) n + v, f = m labiodental ( ) (A) invece non fare » (p. 412)
La bonne diction obtenue par l’apprentissage de cette variante a été résumée aussi dans les quatre mouvements, que nous considérons comme « essentiels » de la langue/muscle, pour une meilleure souplesse articulatoire. Ces mouvements nous semblent permettre aux 17 muscles de la langue de trouver un meilleur « équilibre ». Voici des exemples qui explicitent les 4 mouvements liés à notre concept de bonne diction:
1) lana, l’ara, l’ala (mobilité de la pointe, indépendante de la mâchoire);
2) sogno, soglio (action du dos antérieur, avec pointe de la langue contre les incisives inférieures);
3) anche, fango (action du dos postérieur, tout en gardant la pointe de la langue contre les incisives inférieures; combiné dans ce cas à une « bonne nasalisation »)
4) cade, tavolo (action « intérieur/extérieur » de la langue)
Tous ces mouvements peuvent et doivent être effectués sans déranger le larynx qui garde une position stable et « confortable » (non volontairement haute ou basse!) aussi bien dans l’acte de parole que dans le chant.
Les principes de diction lyrique, présentés eux aussi sous forme de Norme, rapprochent encore plus les problèmes de la diction de ceux de l’émission vocale proprement dite et de l’interprétation musicale. Voici le N° 15 qui explique le partage rythmique d’un groupe vocalique dans une seule valeur rythmique:
15) Le « partage » d’un groupe de voyelles sur une seule valeur rythmique se fait par rapport à leur valeur linguistique et au contexte musical.
(…) le cas B par exemple:
B) On peut aussi avoir des voyelles qui se « rencontrent » dans la musique de la parole, donnant lieu à des phénomènes analogues aux diphtongues et aux hiatus… En métrique on les appelle: « synalephe » et « dialephe ». Dans l’air de Don Ottavio « Il mio tesoro intanto… » du Don Giovanni de Mozart on trouve cette phrase: « cercate di asciugar » sur différentes formules rythmiques; (…)On peut opter pour des solutions très différentes, selon que le groupe phonétique « – di a – » fonctionne comme un hiatus ou comme une diphtongue. (…)
Les diverses solutions de ce problème sont analysées aux pp. 466 à 469.
Le chapitre sur le solfège au rythme de la phonétique nous a permis de montrer que le solfège est souvent mal enseigné à cause des problèmes de diction du professeur… La transition sur les exercices de diction, qui ont été conçus comme un véritable solfège linguistique, devenait alors évidente.
Nous pensons que la phonétique devrait trouver sa place au sein des Conservatoires de musique. Cela lui permettrait d’enrichir ses possibilités d’explication des phénomènes musicaux des langues, mais aussi de mieux définir le champs d’investigation du linguiste phonologue ou philologue, car la confusion de ces disciplines comporte des erreurs d’évaluation. C’est d’ailleurs une mauvaise interprétation de la branche étymologique de la philologie qui produit le purisme (voire le « florentinisme » en ce qui concerne la bonne diction italienne):
» (…) La mise en valeur du texte ancien, sacré ou « respectable » fait de toute évolution une corruption et développe une certaine résistance au changement. D’où l’apparition d’une attitude normative qui se raidit, dans ce cas, dans le purisme (…) »
Dans notre effort « normatif » nous avons essayé de nous en éloigner le plus possible, car la « bonne diction » du Belcanto n’est pas pureté, mais, et avant tout, confort articulatoire.